Troubler la représentation 

Au Théâtre Paul-Desmarais, Centre Canadien d’Architecture, les 28-29 septembre 2023.

Nous traversons une période où les pratiques et les discours liés à l’autoreprésentation occupent l’avant-scène de la vie publique et de la culture visuelle. Dans les galeries, les musées et les mouvements activistes, comme dans les actualités et les médias sociaux, ces pratiques relient les aspects les plus intimes de l’expérience subjective à la dynamique collective des transformations sociopolitiques et historiques – avec des conséquences parfois explosives. Dans le champ de l’art moderne et contemporain, des artistes dissidents et marginalisés ont depuis longtemps répondu à la nécessité pressante de rendre visibles des formes non normatives de subjectivité en se livrant à des actes audacieux de représentation de soi et de leurs communautés. Ces pratiques ont remis en question et élargi la grande tradition de l’art figuratif, en réitérant notamment que les relations « naturalisées » à la représentation renforcent généralement les idéologies dominantes. Ces dernières années cependant, de semblables présomptions de « transparence » de la représentation – portées par une culture numérique néolibérale qui tend à faire de l’identité une nouvelle tendance, une marchandise lucrative – semblent avoir gagné du terrain.

Cette conférence de deux jours vise à troubler ces idées d’immédiateté ou de transparence en se penchant sur des pratiques artistiques contemporaines qui proposent des formes d’autoreprésentation alternatives ou qui s’intéressent aux processus de médiation. En réunissant un groupe d’artistes, d’activistes, de chercheurs, de poètes, de critiques et de commissaires d’exposition dont le travail fait place à des formes ou à des voix idiosyncrasiques qui complexifient les grandes catégories du positionnement subjectif, nous souhaitons nourrir de nouvelles façons de penser l’expérience de l’identité dans l’art contemporain.

Explorant l’histoire de la performance mimétique, de l’abstraction et des pratiques conceptuelles/textuelles, les artistes sur lesquels nous nous concentrons déconstruisent, dissèquent, défamiliarisent et réinventent des formes traditionnelles de représentation qui se sont souvent fondées sur des principes d’exclusion ou d’aliénation. À travers une réflexion critique et poétique sur leurs œuvres, qui opacifient, diffractent, ou suspendent la lisibilité du soi, notre conférence propose d’appréhender la persona artistique non pas comme une chose bien délimitée, mais comme une archive intertextuelle en dialogue perpétuel avec le passé et l’avenir.

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Sky Hopinka, Lore (arrêt sur image), 2019.
Avec l’aimable permission de l’artiste © Sky Hopinka

Participants : Rémi Belliveau, Moyra Davey, Coco Fusco, Dalie Giroux, Ji Yoon Han, Nelson Henricks, Sky Hopinka, Steffani Jemison, Wayne Koestenbaum, Elisabeth Lebovici, Marion Lessard, Ara Osterweil et Gaëtan Thomas.

Commissaires : Ara Osterweil et François LeTourneux, avec la collaboration de Ji-Yoon Han

Remerciements : le Musée d’art contemporain remercie la Fondation Stern, le Centre canadien d’architecture, le Consulat général de France à Québec et MOMENTA Biennale de l’image pour leur soutien.

Biographies : 

L’héritage culturel acadien et la fiction derrière la construction des récits fondateurs sont au cœur de la pratique de Rémi Belliveau. Depuis 2018, l’artiste développe un projet de longue haleine sur Joan Dularge, figure « manquante » de l’histoire du rock politique acadien des années 1960 et 1970. Dans le cadre de son exposition présentée en collaboration avec MOMENTA Biennale de l’image à VOX, centre de l’image contemporaine, Belliveau dévoilera en primeur le second volet de son projet, centré autour d’un film ambitieux restituant un concert mythique de Joan Dularge.

Moyra Davey œuvre dans le domaine de la photographie, du film, de la vidéo et de l’écriture. Elle est l’autrice d’Index Cards (2020), coautrice de Davey-Hujar: The Shabbiness of Beauty (2021), et directrice de publication de Mother Reader: Essential Writings on Motherhood (2001). Son nouveau film, Horse Opera, a été présenté en première au MoMA, à New York, puis dans des festivals internationaux tels que le TIFF et la Berlinale. Ses œuvres font partie de grandes collections publiques, notamment celles du Museum of Modern Art de New York, du Musée des beaux-arts du Canada, du Reina Sofia de Madrid et de la Tate Modern de Londres.

Coco Fusco est une artiste interdisciplinaire et autrice établie à New York. Elle est lauréate de plusieurs prix, dont l’American Academy of Arts and Letters Art Award (2021), le Latinx Artist Fellowship (2021), l’Anonymous Was a Woman Award (2021), le Rabkin Prize for Art Criticism (2021) et le Greenfield Prize (2016). Ses performances et ses vidéos ont notamment été présentées dans le cadre de la 56e Biennale de Venise (2022), la foire Frieze (projets spéciaux), Basel Unlimited et trois Biennales du Whitney (2022, 2008 et 1993). Ses œuvres font partie des collections du Museum of Modern Art de New York, du Walker Art Center à Minneapolis, de l’Art Institute of Chicago, du Whitney Museum à New York, du Centre Pompidou à Paris et du Musée d’art contemporain de Barcelone. Fusco est l’autrice de Dangerous Moves: Performance and Politics in Cuba (2015). Elle collabore régulièrement à diverses revues et publications, dont The New York Review of Books. Titulaire d’un baccalauréat en sémiotique de l’Université Brown (1982), d’une maîtrise en pensée moderne et littérature de l’Université de Stanford (1985) et d’un doctorat en art et culture visuelle de l’Université du Middlesex (2007), elle enseigne à la Cooper Union School of Art.

Dalie Giroux enseigne la théorie politique à l’Institut d’études féministes et de genre et à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa depuis 2003. Ses recherches proposent une théorie et un plan d’expérimentation des formes d’articulation entre l’espace, le langage et le pouvoir dans l’Amérique contemporaine. Elle situe son travail à la rencontre de l’art et la science, où les recherches philosophiques, historiques, géographiques et sociales s’inscrivent dans une pratique de création qui allie l’essai, la prise de parole et la collection d’artéfacts. Elle a publié, entre autres ouvrages, L’œil du maître (Mémoire d’encrier, 2020) et Civilisation de feu (Mémoire d’encrier, 2023).

Ji-Yoon Han vit et travaille à Tiohtià:ke/Mooniyang/Montréal. Volontiers interdisciplinaires, ses projets aspirent à mettre en évidence la force sensible et réflexive des arts visuels dans des contextes sociaux, culturels et psychiques mouvants. Auparavant commissaire à la Fonderie Darling, elle a mis sur pied des expositions sur le travail de Cynthia Girard-Renard, Barbara Steinman, Javier González Pesce et Guillaume Adjutor Provost, ainsi qu’un cycle d’activations performatives centré sur l’écoute et les pratiques en art sonore. En 2022, elle a conçu l’exposition-résidence collective Exercices de réciprocité pour la Fondation Grantham pour l’art et l’environnement, et elle a développé le projet multidisciplinaire Tresser la ligne : Claudia Brutus et Stéphane Martelly. Elle écrit régulièrement sur les artistes montréalais et a notamment contribué à des monographies consacrées à Geneviève Cadieux et à Louise Robert. Autrice d’une thèse de doctorat intitulée La métaphore vacante. Concurrence des images entre 1929 et 1936 : photographie, surréalisme, revues, publicité, elle est actuellement chargée de recherches pour la mission Photographie et commande au Cabinet de la photographie, avec le soutien des amis du Centre Pompidou, à Paris.

Né en 1963 à Bow Island (Alberta), Nelson Henricks vit et travaille à Montréal depuis 1991. Pendant plusieurs années, il a enseigné l’histoire de l’art et la production vidéo à l’Université Concordia. Principalement connu pour son travail vidéographique, il a développé une approche multidisciplinaire (peinture, sculpture, écriture) afin de mieux explorer comment les informations audiovisuelles provenant de différentes sources se chevauchent et s’influencent mutuellement. Son travail a été présenté de façon soutenue au Canada et ailleurs dans le monde depuis le début des années 1990. Ses œuvres font partie des collections du Museum of Modern Art de New York, du Musée des beaux-arts de Montréal, du Musée d’art contemporain de Montréal, du Musée national des beaux-arts du Québec, du Musée des beaux-arts du Canada, ainsi que de plusieurs collections d’entreprises et privées. Il est représenté par Paul Petro Contemporary Art, à Toronto.

Sky Hopinka (nation Ho-Chunk/bande Pechanga de Luiseño) est né et a grandi à Ferndale, dans l’État de Washington, et a vécu plusieurs années à Palm Springs et à Riverside, en Californie, ainsi qu’à Portland, en Oregon, et à Milwaukee, dans le Wisconsin. À Portland, il a étudié et enseigné le chinuk wawa, une langue autochtone du bassin du fleuve Columbia. Ses œuvres vidéographiques, photographiques et textuelles sont axées sur des réflexions personnelles sur le territoire et le paysage autochtones – des conceptions de la langue comme porteuse de culture, qu’il exprime par des formes médiatiques personnelles et inspirées de faits réels.

Steffani Jemison est une artiste de Brooklyn (New York). Elle a présenté des expositions individuelles et des performances, notamment au JOAN Los Angeles, à la galerie Greene Naftali à New York, au Mass MoCA, au Jeu de Paume à Paris, au CAPC Bordeaux, au Museum of Modern Art de New York et à LAXART à Los Angeles. Son travail a fait partie d’importantes expositions générationnelles, dont Greater New York, en 2021, et la Biennale du Whitney, en 2019. Elle est représentée dans de nombreuses collections publiques, notamment celles du Hirschhorn Museum and Sculpture Garden, du Museum of Modern Art de New York, du Guggenheim, du Whitney Museum, de Kadist et du Musée Stedelijk. Jemison est l’autrice de A Rock, A River, A Street (Primary Information, 2022). Dans le cadre de son projet d’édition Future Plan and Program, elle a publié des livres de Harold Mendez, Martine Syms, Jibade-Khalil Huffman, Jina Valentine et Szu-Han Ho. En collaboration avec Quincy Flowers, elle a également cofondé la plateforme pour écrivains et écrivaines at Louis Place.

Wayne Koestenbaum a publié plus de vingt livres de poésie, de critique et de fiction, dont Ultramarine, The Cheerful Scapegoat, Figure It Out, Camp Marmalade, My 1980s & Other Essays, The Anatomy of Harpo Marx, Humiliation, Hotel Theory, Circus, Andy Warhol, Jackie Under My Skin et The Queen’s Throat (mis en nomination pour le National Book Critics Circle Award). Il a donné des représentations musicales de ses soliloques improvisés de type Sprechstimme au Hammer Museum, à The Kitchen, au REDCAT, au Centre Pompidou, au Walker Art Center, à l’Artist’s Institute, à la Renaissance Society et au Poetry Project. Son long métrage The Collective a été présenté à UnionDocs (New York) en 2021. Koestenbaum s’est vu attribuer une bourse Guggenheim pour sa poésie, un prix de littérature de l’American Academy of Arts and Letters et un prix Whiting. La bibliothèque Beinecke de livres rares et manuscrits de l’Université Yale a acquis ses archives littéraires. Il est professeur émérite d’anglais, de français et de littérature comparée au CUNY Graduate Center.

Elisabeth Lebovici est critique et historienne d’art. Elle a notamment été journaliste au quotidien Libération de 1991 à 2006. Depuis 2006, elle codirige (avec Patricia Falguières et Natasa Petresin-Bachelez) un séminaire intitulé « Something You Should Know : artistes, productrices et producteurs aujourd’hui » à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS). Activiste dans la lutte contre le sida, elle est membre fondatrice du fonds de dotation LIG – lesbiennes d’intérêt général. Elle est la coautrice, avec Catherine Gonnard, de Femmes artistes/artistes femmes. Paris, de 1880 à nos jours, paru aux Éditions Hazan en 2007. Son livre Ce que le sida m’a fait. Art et activisme à la fin du XXe siècle, paru aux éditions JRP Ringier en 2017, a reçu cette même année le prix Pierre Daix. Il a également inspiré l’exposition EXPOSÉ·ES, mise sur pied par le commissaire François Piron au Palais de Tokyo, en 2023.

Marion Lessard est un collectif de cinq personnes incarnées en un seul corps, composé de Marie Cherbat-Schiller, Alice Roussel, Jean-Nicolas Léonard, Claude Romain et Élisabeth M. Larouine (se distinguant par des caractères distincts, mais partageant forcément un air de parenté), qui examine et met en évidence les structures philosophiques, sociopolitiques et culturelles sur lesquelles repose la conception occidentale de l’identité. Cette structure inhabituelle, à la fois individuelle et collective, agit à la façon d’un miroir trouble qui renvoie aux paradoxes du vivre ensemble.

Ara Osterweil est peintre abstraite, écrivaine, universitaire et critique. Elle est également professeure agrégée d’études culturelles au Département d’anglais de l’Université McGill, où elle dirige par ailleurs le programme d’études sur le cinéma mondial. Son premier livre, Flesh Cinema: The Corporeal Turn in American Avant-Garde Film, examine la représentation de la sexualité et de l’amitié queer dans le cinéma expérimental des années 1960 et 1970. Son deuxième ouvrage, The Pedophilic Imagination: A History of American Film, est à paraître chez Duke University Press. Osterweil contribue régulièrement à Artforum et a publié de nombreux essais dans des revues telles que Camera Obscura, Art Journal, Los Angeles Review of Books, Border Crossings, C magazine, Film Quarterly, Little Joe, Framework et Millennium Film Journal. Elle prépare actuellement un recueil d’essais sur l’art contemporain, provisoirement intitulé Abstraction and its Discontents.

Gaëtan Thomas est historien (médialab, Sciences Po Paris – CERMES3, CNRS). Il a travaillé sur l’histoire de l’épidémiologie et de la vaccination au XXe siècle, à laquelle il a consacré un livre qui paraîtra prochainement. Ses recherches actuelles portent sur un hôpital façonné par les relations franco-africaines. Il a également traduit et édité les textes de deux critiques d’art associés à l’histoire culturelle du sida, Douglas Crimp (Le Point du Jour, 2016) et Craig Owens (Même pas l’hiver, 2022).