Nightlife est un film 3D réalisé par l’artiste Cyprien Gaillard à partir des vestiges de l’histoire coloniale visibles dans le paysage contemporain. D’une beauté renversante, née de la collision de réalités sociopolitiques, la trame du récit se développe au rythme des mots prononcés par Alton Ellis, l’une des voix les plus expressives de l’histoire de la musique jamaïcaine. Le chanteur interprète en boucle deux versions d’une chanson intitulée Blackman’s World, dont le refrain résigné «I was born a loser» est transformé pour proclamer «I was born a winner».

Tournée entièrement de nuit sur une période de deux ans dans les villes de Cleveland, Los Angeles et Berlin, l’œuvre, composée en quatre actes, raconte une histoire de révolution, de résistance et de résilience. Le fil narratif, poétique et historique, débute au pied de la sculpture Le Penseur, d’Auguste Rodin, conservée au Cleveland Museum of Art, pièce qui fut partiellement détruite lors de l’attentat à l’explosif orchestré en 1970 par un groupe politique protestataire connu sous le nom de Weather Underground. La caméra nous transporte ensuite dans une danse nocturne singulière, celle de la végétation luxuriante de Los Angeles — composée de plantes exotiques importées dans la ville à l’occasion des Jeux olympiques de 1932. Une lente et éblouissante ascension structure le troisième segment du film : grâce à l’usage d’un drone, l’artiste nous offre un point de vue inédit sur un événement de pyrotechnie organisé au stade olympique de Berlin, hôte des Jeux de 1936. La descente de la caméra se conclut auprès d’un chêne aujourd’hui mature, reçu par Jesse Owens aux Jeux de Berlin et planté au lycée à Cleveland où le célèbre athlète américain et médaillé olympique s’est entraîné. Les sujets s’enchaînent et se répondent au rythme du refrain inlassablement remodelé, « Je suis né perdant / Je suis né gagnant ».

La puissance de cette œuvre immersive repose sur sa capacité à relier Histoire et Nature, en nous repositionnant dans nos rapports de pouvoir face à ces deux éléments. Présentée à plusieurs occasions depuis sa réalisation en 2015, Nightlife se démarque par sa capacité à nous impliquer dans une expérience perceptuelle, critique et philosophique, basée sur des télescopages temporels. Elle recadre les cicatrices laissées par les événements de l’histoire. Sa beauté naît du heurt de réalités.

La démarche de Cyprien Gaillard repose sur une archéologie visuelle basée sur l’érosion des formes physiques, du sens social et du regard historique. Profondément intéressé par la ruine, il œuvre sur le caractère récurrent du temps, sur l’héritage et sur l’avenir de l’architecture. Né à Paris en 1980, il vit et travaille à Berlin. Lauréat du prix Marcel-Duchamp en 2010, Cyprien Gaillard est l’un des artistes marquants de sa génération.