L’exposition Les gratte-ciels par la racine explore la longue vie du modernisme tardif en architecture à travers un ensemble d’œuvres réalisées au cours des dix dernières années par Shannon Bool, Kapwani Kiwanga, Rachel Rose et Jonathan Schouela, une nouvelle installation filmique de David Hartt ainsi que des œuvres de Lynne Cohen et de François Dallegret produites dans les années 1960 et 1970.

Commissarié par : François LeTourneux

Alors que ces dernières proposent un point de vue contrasté, mais représentatif d’importantes tendances de l’époque, les productions plus récentes exploitent l’avantage du recul historique pour renouveler la lecture critique du modernisme. Elles emploient pour ce faire un éventail de méthodes qui comprend le recours aux archives, l’investissement du site, la réactivation de techniques traditionnelles ou de stratégies (néo)modernistes, la fiction spéculative et l’auto-ethnographie.

François Dallegret, Un-house. Transportable standard-of-living package / The Environment-Bubble, 1965. Encre de Chine sur acétate.
Photo : avec l’aimable permission de l’artiste © François Dallegret / CARCC Ottawa 2025

Les gratte-ciels par la racine aborde un certain nombre de phénomènes directement issus des principes de fonctionnalisme et d’innovation technique qui sous-tendaient le programme moderniste : climatisation des intérieurs, standardisation modulaire à grande échelle, stratégies d’accessibilité, de mobilité et de transparence, intégration des flux médiatiques, développement d’espaces voués au design de soi. Initialement liés à un objectif de démocratisation et de progrès social, ces phénomènes se révélèrent néanmoins, sur le long terme, indissociables de l’inquiétante fusion des sphères de la vie intime, du travail, de la consommation et du spectacle.

David Hartt, Horizon, 2025
Installation vidéo, couleur, son, 16 min 52 s
Photo : avec l’aimable permission de l’artiste © David Hartt

Les œuvres présentées dans l’exposition mettent de l’avant l’expérience corporelle de l’environnement bâti et posent aux « fantômes » du modernisme d’importantes questions liées à l’organisation sociale. Pour qui ces espaces et leurs dispositifs étaient-ils conçus ? Quels modes d’existence supposaient-ils ? Quelles techniques d’identification et de production du désir ? Et quelles modalités du vivre-ensemble ? En réponse à ces questions, elles élaborent une scénographie dans laquelle les « restes » du modernisme, toujours prégnants et réinventés, apparaissent comme autant d’instruments optiques dont les jeux de projection, de superposition et de cadrage ouvrent de surprenantes perspectives sur le présent.

Les gratte-ciels par la racine prend également pour point de départ l’occupation actuelle, par le Musée d’art contemporain, d’un espace d’activité temporaire situé à Place Ville Marie, célèbre complexe érigé de 1958 à 1962 par l’agence américaine I.M. Pei & Associates qui devint rapidement le symbole de la modernisation et du renouvellement du centre-ville de Montréal pendant la Révolution tranquille. Caractéristique du « style international » au même titre que d’autres célèbres gratte-ciels construits au même moment le long du boulevard René-Lévesque, Place Ville Marie était aussi un projet innovant de restructuration urbaine multiniveau, dont la galerie marchande (premier centre commercial intérieur climatisé de Montréal et lieu actuel des salles d’exposition du MAC) fut le point d’origine de la « ville intérieure ». Ce vaste réseau, notoirement apparenté à la forme de la mégastructure par l’historien britannique de l’architecture Reyner Banham, relie un ensemble d’éléments urbains d’importance apparus dans la même foulée, comme la Place Bonaventure, le métro ou les nombreuses réalisations d’Expo 67. L’histoire de cette séquence, dont les répercussions socioculturelles furent multiples, forme une trame contextuelle sur laquelle s’appuie l’exposition.

Vue du vernissage de l’exposition Rouault présentée au Musée d’art contemporain de Montréal à Place Ville Marie, du 19 mars au 2 mai 1965
Photo : inconnu du MAC, archives du Musée d’art contemporain de Montréal

Peu après sa construction, Place Ville Marie fut, par un étrange concours de circonstances, le tout premier lieu d’activité du MAC, qui y présenta en 1965 une exposition itinérante consacrée au peintre français Georges Rouault.

Soixante ans plus tard, nous souhaitons profiter de ce second séjour dans ce lieu pour accueillir un corpus d’œuvres qui abordent précisément, cette fois, les enjeux du modernisme tardif et l’expérience que nous faisons de ses espaces. Nous espérons que ces œuvres auront une résonance particulière dans ce contexte si chargé d’histoire et qu’elles permettront aussi de renouveler le regard que nous portons aujourd’hui sur lui.

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